Comment définit-on une espèce invasive ? Réponse : c’est une espèce qui se retrouve dans un milieu qu’elle colonise et qui ne trouve dans ce nouvel écosystème ni limites ni contrôle à sa prolifération.
Si on me demandait un exemple qui incarnerait cette définition, je dirais volontiers : « les humains bien sûr ! » Ils ont transformé espaces, paysages et écosystèmes qu’ils avaient sous la main, ils ont envahi tous les continents, ils ont éradiqué les écosystèmes qui les menaçaient, leur hubris (i.e., en grec ancien, l’illimitation de leurs désirs) contribue à une extinction massive d’espèces vivantes (peut-être même à la 6e extinction de masse), ils sont en passe de détruire la possibilité même de l’écosystème qui les a vus naître par leur délire de puissance et de croissance exponentielle… Ce caractère invasif qui nous est propre pourrait en fait recevoir deux noms : l’« anthropisation » d’une part, qui n’est autre que la façon dont l’homme, depuis près de 200 000 ans, humanise, façonne la Terre pour y habiter ; d’autre part, ce que l’on appelle aujourd’hui, ce que l’on appellera peut-être encore plus sûrement demain, l’« anthropocène » (1), c’est-à-dire cette ère géologique nouvelle marquée par l’importance croissante des impacts des actions humaines à l’échelle planétaire, puissance d’impact capable de déterminer globalement le climat… « Invasion », pour rendre la planète de plus en plus habitable ; « Invasion », jusqu’à rendre la Terre de moins en moins habitable. CQFD !
Mais pour les écologues et les conservateurs de tout poil, une espèce invasive se définit comme une espèce qui a été artificiellement relâchée hors de son milieu d’origine (souvent par des humains lassés de leurs animaux de compagnie), mais qui, par une de ces bizarreries de la nature, se retrouve mieux adaptée ou sans prédateur dans ce nouveau milieu. Ce qui a deux conséquences : la prolifération et le déséquilibre de l’écosystème colonisé !
Une appli dédiée…
C’est un problème qui est pris très au sérieux en Floride. L’université de Georgia, en collaboration avec l’université de Floride et The Florida Fish and Wildlife Conservation Commission, a élaboré l’application « I’ve got one » qui permet à chacun de signaler les individus rencontrés des espèces dites invasives afin de mieux documenter le problème. L’espèce invasive « ennemi numéro 1 de la Floride » est le Burmese Python, ou Python birman. Importé dans les années 1970 comme animal de compagnie, puis relâché dans les Everglades par des propriétaires las et peu scrupuleux, il y a trouvé un écosystème favorable à sa prolifération. Sans prédateur naturel et avec la possibilité pour une femelle d’avoir plus de 1 000 petits, l’espèce a colonisé les prairies humides, les mangroves et les forêts de cyprès inondées. Les estimations varient entre quelques milliers et 100 000 individus qui se repaissent des petits mammifères et des oiseaux. En juillet dernier, il a été capturé dans la Shark Valley un python de 18 pieds et 3 inches de long (6 mètres et quelques), soit le deuxième plus grand python capturé dans les Everglades. L’article du Naples Daily News en date du 28 juillet 2015 qui rapporte l’affaire, note que le python a été « humainement euthanasié » : « According to Everglades National Park spokeswoman Linda Friar, the snake was euthanized humanely »… Est-ce à dire qu’il a eu le statut de personne parce qu’on a décidé de le tuer sans affreuses souffrances ? Où se situe l’humanité ?
… et une grande chasse !
On voit le problème, on voit la contradiction : si la nature est tout ce qui existe dans la biosphère (comme le disait ma Ranger préférée, Nicole Schaub, que je vous présenterai prochainement…), alors le Python birman est tout aussi naturel. Cependant, au nom de la conservation de la vie sauvage et de la flore de Floride, c’est-à-dire en réintroduisant la compétition entre les écosystèmes locaux, on va juger que la présence dudit Python birman est nuisible, et on va tenter de l’éradiquer (« get rid of it » ai-je entendu par ici, il faut donc « s’en débarrasser »). On va mettre en avant une nature endémique soi-disant équilibrée, alors que depuis les airboats jusqu’au Tamiami trail (la route qui joint Tampa à Miami en coupant en deux les Everglades), en passant par les effets à venir du réchauffement climatique, le plus gros pourvoyeur de déséquilibres est sans doute l’humain ! Quoi qu’il en soit, les trésors d’imagination pour combattre la prolifération du Python birman sont admirables : depuis le festival pour la conscience des espèces invasives (organisé en partenariat avec l’université de Miami), jusqu’à l’étonnant Python Contest 2016, en passant par des cours d’entrainement à la capture du python et une émulation des chasseurs d’invasifs sur les réseaux sociaux, le Python birman va affronter de l’agressivité humaine dans les prochains temps ! Samedi, un peu avant l’entrée du Parc National des Everglades, j’avais déjà vu une tente avec une banderole Pythoncontest2016.org. J’ai retrouvé aujourd’hui, de l’autre côté du parc, une tente similaire. Je me suis arrêté cette fois.
On m’explique qu’il s’agit d’une chasse. Que c’est la deuxième année qu’on organise une telle compétition de chasse. Environ 600 chasseurs sont à l’œuvre. La dernière campagne a eu lieu en 2013 : 58 pythons ont été capturés. « Hier, nous étions à 13 ! » [Update : ils en sont aujourd’hui à 61, record d’ores et déjà battu…]. Les participants doivent faire enregistrer leur prise, morte ou vive dans une de ces tentes. Puis les serpents sont amenés à Naples pour être étudiés par les biologistes me dit-on… et sans doute « humainement euthanasiés » pour ceux encore vifs ! Il y a deux grands prizemonney : 3 000 dollars pour l’équipe qui capture le plus grand, 5 000 pour celle qui en capture le plus. Des humains appliquent les techniques de régulation des populations propres aux chasseurs aux pythons parce que d’autres humains ont mis en danger les équilibres écosystémiques par leur inconscience et leur égoïsme stupide. A quand l’application de ces techniques aux humains responsables de prolifération mettant gravement en danger l’équilibre des écosystèmes et la disparition des autres espèces ?
Damien
A Gemo !
(1) Le terme « anthropocène » a été proposé dès l’an 2000 par Paul Crutzen (géochimiste, prix Nobel de Chimie) et Eugene Stoermer (géologue et biologiste) pour désigner cette nouvelle ère géologique (cf. « The « Anthropocene », IGBP Newsletter, n°41 et P. Crutzen, « Geology of Mankind : The Anthropocene », Nature, n°415, 03/01/2002 ). L’anthropocène ouvrirait ainsi une nouvelle ère du quaternaire, après le Pléistocène (ère des cycles glaciaires) et l’Holocène (ère post-glaciaire marqué pour les hommes par le développement de l’agriculture et de l’élevage). L’hypothèse anthropocène doit encore être ratifiée par la sous-commission sur la stratigraphie quaternaire de l’Union internationale des sciences géologiques (courant 2016) pour être adoptée officiellement. Plus de détails sur Wikipédia.